A Saint Domingue

Boisnoir déambulait le long du quai de Port de Paiw. Il aimait à respirer l'air marin qui envahissait le port. Derrière lui, les membres de son état major semblaient discuter des problèmes inhérents à l'armement de l'escadre. Son escorte de fusiliers était à quelques pieds s'appuyant nonchalemment sur leurs fusils. Ils paraissaient en proie à un ennui profond. Son regard se fixa sur son navire le Royal Louis. Un magnifique trois ponts de 124 canons. Il avait reçu l'ordre de faire voile vers saint Domingue, en ses temps d'alliance avec l'Angleterre pour mettre un terme à la piraterie voire un navire français dans un port britannique n'avait rien d'anormal mais causait souvent un certain étonnement. Ce navire suivait son armement avant de pouvoir reprendre la tête de l'escadre qui était ancré à Port au Prince et anéantir les pirates.

Boisnoir décida de s'éloigner des quais et se dirigea vers la plage. Ses officiers et les soldats se mirent au garde à vous à son passage, ils semblaient décidés à le suivre mais leur amiral leur fit comprendre que cela n'était pas nécessaire.

-Je vais marcher un peu, dit-il sur un ton rassurant qui tranchait avec son autoritarisme habituel. Je vais rester seul un moment. Si un crabe me pince le pied vous ne serez pas bien loin... Il s'éloigna en souriant.

Il goûtait un peu de cette liberté que lui conférait son haut statut une fois en mer. Mais lorsqu'il était à terre cette autorité ne s'étendait pas sur toutes les choses qui l'entouraient. Les civils, les autres haut gradés, Lord Beckett. Il devait compter avec ceux là, et essayer de s'astreindre quelques limites. Ses bouffées d'autoritarisme rencontrait le caractère arrogant des pontes de Saint Domingue. Et cet interminable attente l'ennuyait, il souhaitait plus que tout reprendre la mer. Ou même croiser le fer, cela l'aurait au moins tirer de son oisiveté. Mais se battre en duel avec quelqu'un lui aurait sans doute causer plus d'ennuis qu'autre chose. Son regard se posa sur la masse noire qui émergeait des eaux à quelques lieues de là, Tortuga l'inexpugnable repaire de pirates qui en théorie appartenait à la France. Boisnoir déambulait ainsi sur la plage lorsque quelqu'un le bouscula. Enervé, il se retourna brusquement.

-Imbécile!!! Vous ne pouvez pas faire attention. Vous là! Savez vous à qui vous avez affaire?!?

[C'est libre, au fait ?]

Cela devait faire environ une semaine que Sylis était sur cette île perdue au milieu des caraïbes, et bientôt, elle repartirait . Pour Port Royal, peut-être, ou peut-être plutot pour Tortuga . Elle serait bien restée un peu plus dans ce port plutôt...intéressant ; seulement, le patron de l'auberge ou elle avait pris l'habitude d'aller semblait commencer à avoir des soupçons sur son compte . Il est vrai qu'elle était largement vêtue et tatouée comme une pirate qu'elle était . Elle se dit qu'il fallait qu'elle se montre plus prudente, avec la compagnie des Indes qui ne cessait de monter en puissance et tous ces soldats qui traînaient un peu partout...mais bon, tant que l'autre alcoolo n'aurait pas de preuves...elle n'allait pas finir sur la potence pour de simples soupçons .
N'empêche qu'en ce moment, c'était un vrai carnage . Rien qu'ici, il y avait déjà eu trois pendaisons de groupes dans la semaine, et il y en avait encore plus ailleurs....être pirate signifiait maintenant être condamné, et si on était encore libre, ce n'était qu'un sursis .

**Mais nous ne nous rendrons pas sans combattre** pensa allégrement Sylis .

Combien de temps qu'elle n'avait pas combattu, combien de temps qu'elle n'avait pas couru sur le pont d'un navire ? Bien trop longtemps .
La terre devenait trop dangereuse . Il fallait qu'elle trouve vite un navire, et qu'elle file sur l'océan ; mieux valait courir le risque de mourir en combattant et succombant sous l'attaque d'un vaisseau ennemi qu'être stupidement pendue à terre .

La jeune femme descendit sur la plage et contempla l'océan ; elle aurait donné n'importe quoi pour être en ce moment dans les haubans d'un navire ...
Elle respira l'air salé du soir et se traîna sur une courte distance, fixant le sable qui recouvrait par intermittences ses pieds nus .
Elle releva la tête en entendant le bruit de pas sur le sable et accéléra ; elle aurait mieux fait de regarder tout d'abord devant elle . Son épaule heurta celle de l'homme qui arrivait en sens inverse .
Sans prendre la peine de s'excuser, elle continua sur quelques mètres lorsque l'inconnu l'invectiva .
Elle se retourna lentement ; ça sentait la bagarre, et ce n'était pas forcément une mauvaise chose...
L'homme qu'elle avait bousculé était en uniforme, portait une perruque poudrée et tout l'attirail ridicule d'un soldat ou d'un corsaire .
Le regard de la jeune femme se teinta d'une ironie méprisante ; elle n'avait jamais pu supporter ces gens-là .

-Je ne sais pas à qui j'ai affaire...mais j'imagine que je vais bientot le savoir . Du gratin, j'imagine ?

Sylis avait complètement oublié sa promesse de rester prudente .

HRJ : En fait j'attendais Simon de La Tour mais ce n'est pas grave je préfère quand il y a plusieurs personnes dont une femme...

Boisnoir tréssauta lorsque la femme lui répondi sur ce ton désinvolte. Cependant il ne s'attendait pas du tout à tomber sur une femme. En effet, ses vêtements étaient plutôt masculin mais sa voix et son visage ne laissait aucun doute sur son sexe. Elle était assez grande ce qui était plutôt rare surtout chez une femme. Il s'avança un peu et la dévisagea puis l'étudia de la tête aux pieds avec un certain dédain. Puis il souffla avec un certain ennui, il n'allait pas croiser le fer avec une femme tout de même...

-Mademoiselle je vous prierez d'adopter un autre ton lorsque vous parlez à un homme de mon rang... Le gratin comme vous le dites si... aimablement.

Il observa un peu plus l'aspect insolite de cette femme. Il nota aussitôt qu'elle portait une arme ce qui lui avait échappé au premier coup d'oeil. Cela n'était pas banal... Une femme avec une arme et qui osait répondre à un officier général de la Marine Française. S'ils avaient été dans un port britannique cette insolence ne l'aurait guère surpris tout au plus irrité. Mais là dans un port français à quelques milles de Tortuga la chose faisait naître en lui quelques suspicions.

-Peut on savoir ce que vous faites dans cet accoutrement? savez vous le sort que l'on réserve à ceux qui osent défier l'autorité des militaires?...

Il la regarda d'un air mauvais en affichant un rictus narquois.

Alors qu'il était à Tortuga, Simon avait éprouvé le besoin d'aller sur une autre île, pour découvrir un peu plus les Caraïbes. Il avait usé de ses atouts de séduction et de persuasion pour apprendre qu'un navire devait se rendre à Saint-Domingue, seulement une heure après... C'était l'occasion rêvée. Mais il s'avéra pour le jeune Français qu'il serait extrêmement difficile de convaincre le capitaine de ce bateau... L'homme semblait avoir la tête dure, mais Simon également... Les négociations s'achevèrent dans la violence : il fut ejecté par deux colosses. Tant pis, s'il ne pouvait pas voyager honnêtement, il n'avait pas le choix. Une barque était amarrée près de lui. Sa chance. Il la saisit, ramant vers le bâtiment qui refusait sa présence. Il la lui imposerait, mais à son insu.

Il atteignit, après un détour, le navire par l'arrière, et chercha un itinéraire à la poupe pour pouvoir grimper... Heureusement pour lui, il y avait une corde dans la barque... Tout était fait pour qu'il réussisse, comme si les dieux approuvaient ce voyage. Après un peu d'escalade, Simon, assuré de ne trouver personne à son arrivée sur le pont arrière, observa le port. Les quelques marins descendus n'allaient pas tarder à revenir, et il y en avait certainement de restés sur le bateau... Prudemment, discrètement, et par miracle, presque, il atteignit la cale.

Pendant le court voyage, le Français s'était trouvé une autre cachette, d'où il pourrait s'assurer qu'il serait arrivé... Il entendit alors crier 'Terre', attendit un peu, et finalement vint sur le pont. Il y avait une plage, non loin. Après avoir remercié l'équipage, en le leur criant sur un ton ironique, il plongea et arriva finalement, trempé, sur le sable fin... Là, il s'allongea. Ce ne fut que lorsqu'il entendit des voix derrière lui qu'il se redressa. Un militaire, probablement un dignitaire, semblait menacer une jeune femme... qu'il voyait de dos... Simon se leva, un léger sourire aux lèvres, et s'avança vers eux... A l'accent de l'homme, il devait être Français... Avec un accent semblable, le jeune homme s'adressa au marin :

"Ohla militaire ! N'avez-vous pas honte de vous en prendre à une femme ?"

Apparemment, elle avait tous les attributs, hormis la masculinité, d'un pirate...

"Mademoiselle." la salua-t-il, inclinant la tête.

Il reporta son attention sur lui.

"Si vous n'avez pas autre chose à faire que d'importuner les passants, vous devez vous ennuyer ferme..."

Affichant son plus beau sourire ironique, presque un rictus, il attendit une réaction de l'un ou de l'autre...

Boisnoir se retourna en un instant pour observer le nouveau venu. Décidément cette petite promenade était bgien plus mouvementée que prévu. Il toisa avec hostilité le jeune homme qui lui faisait face détournant son attention de la jeune femme. Il commença à l'observer avec un air amusé et en étudia l'aspect. Il portait des vêtements simples mais avait un port altier et une assurance qui trahissait une certaine noblesse. Ses yeux bleus verts brillaient d'intelligence et de confiance en soi. On devinait qu'il possédait une certaine carrure et le ton de sa voix était assez arrogant. Boisnoir le vit se passer la main dans les cheveux. Sa dernière réplique et le sourire qu'il afficha furent comme une sorte d'invitation.

Il posa délicatement la main sur la garde de son épée puis radoucit son regard. Les gens ne savaient décidément rien. Ignorer qu'IL était lui l'amiral de Boisnoir!!! Son uniforme montrait pourtant son rang, de plus de quoi se mêlait cet importun. Bref, l'heure n'était plus aux questions inutiles. L'excitation le gagnait au fur et à mesure que son regard se plongeait dans celui de l'autre. Il lança un bref coup d'oeil à la jeune fille puis reporta son regard sur l'autre.

-Je ne crois pas avoir requis votre présence jeune homme! J'aurais honte si je m'en prenais à une vraie femme mais les effets de celle-ci ne me semblant guère trés féminins... Il lui lança un sourire méprisant... Si vous comptez rester en vie jeune homme je vous conseillerais de reprendre votre chemin... A moins que vous désiriez me distraire un peu... Hum? Il haussa un sourcil amusé.

Boisnoir remarqua que la jeune fille reculait. Sans doute désirait-elle s'éloigner afin de s'éclipser discrétement. Mais Boisnoir n'en avait pas fini avec elle. De plus, ses excuses bien que convaincantes n'avaient pas l'air trés sincères. Il tapota la garde de son épée puis s'avança d'un pas dans sa direction.

-Vous n'avez pas répondu à ma question ce me semble... Pourtant j'exige une réponse. Cependant je pense que vous pouvez parler sans crainte. Que pourrais je vous faire?

Il réfléchit cependant aux paroles de la jeune fille "un homme de votre rang"... C'était toujours flatteur. Il reporta son attention une nouvelle fois sur le jeune homme. Celui-là semblait ne pas vouloir partir! Un sacré tempérament semblait-il... L'heure que Boisnoir attendait semblait se trouver à portée de main.

-Eh bien vous êtes encore là vous? Seriez vous sourd? Je vous ai conseillé de retourner sur vos pas! Si vous tenez à mourir libre à vous... Cependant je vous préviens ma patience a des limites et il ne faut pas exagérer.